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Pénétrer dans l’univers de Gonzalo Marquez exige de s’impliquer totalement et d’accepter la mise en branle de l’expérience sensible. Son imaginaire pictural oblige le contemplateur à abandonner les repères du quotidien trivial pour s’immerger dans un monde qui réinvente le vivant, la biocénose. Sculpteur de surfaces planes, l’artiste modèle les aplats de couleurs, érode les lignes trop saillantes, donne naissance aux formes, au grès des écosystèmes qu’il élabore. La force vitale qui anime l’acte pictural s’exprime dans la recherche de l’harmonie de l’impair, de l’équilibre asymétrique, puisant son inspiration dans l’énergie créatrice de la Nature. La passion naturaliste se mute dans des compositions longuement élaborées, retravaillées, patiemment remodifiées.
Le peintre, explorateur de l’impensé, inaugure dans ses œuvres les plus récentes une étape décisive de son cheminement. Soucieux de se détacher du discours narratif et de l’expression figurative, Gonzalo Marquez s’engage dans une recherche qui prend ses distances avec l’influence stylistique des peuples autochtones, notamment dans la culture précolombienne. Cet héritage revient cependant de façon ponctuelle, comme un leitmotiv, comme pour rappeler l’aube de l’humanité, intimement liée à l’énergie créatrice à l’origine du monde. Dans sa quête d’abstraction, le peintre se concentre sur une palette de couleurs réduite et des motifs géométriques épurés qui rappellent la vie terrestre : le soleil ou la lune, le règne végétal, la nuit.
Dans l’ensemble de l’œuvre de Gonzalo Marquez, la figure lancinante de l’oiseau, réduite parfois à une ombre et dénuée de réalisme, persiste inlassablement. Tantôt protagoniste, tantôt détail subtilement et ironiquement dissimulé, l’oiseau est omniprésent dans ses tableaux. L’ornithologie fantasmagorique qu’il déploie personnifie l’animal, symbole de la liberté à laquelle aspirait vainement Icare. Les lieux et les atmosphères où évoluent ces êtres imaginaires – composés de formes enchevêtrées ou dépouillés de matière suivant les tableaux, témoignent d’une recherche qui va au-delà de la pure forme esthétique. Par une étrange alchimie, l’inconnu dans lequel nous conduit les peintures de Gonzalo Marquez devient rapidement familier et réconfortant. Tel le chamane, le peintre s’appuie sur l’animal pour dénouer l’angoisse existentielle et universelle de la condition humaine. La contemplation de cet univers, véritable catharsis, si elle peut parfois perturber ou déranger, finit par apporter de l’apaisement, comme si elle participait à cicatriser une blessure inconsciente. Gonzalo Marquez démontre que le peintre est comme le poète, un « voleur de feu » et ses tableaux répondent à l’injonction d’Arthur Rimbaud : « il devra sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c’est informe, il donne de l’informe ».
- March 17, 2021